Pakistan : un ouvrier chrétien torturé et assassiné par son patron pour une histoire de dette

Pakistan  un ouvrier chrétien torturé et assassiné par son patron pour une histoire de dette

Début septembre, un ouvrier chrétien pakistanais est décédé après avoir été enlevé pour être torturé sur ordre de son employeur. La situation illustre l’état de sujétion dans laquelle se trouvent de nombreux travailleurs, notamment issus des minorités, face à des patrons qui les considèrent comme leurs biens. 

Le 30 août dernier, Ahsan Masih, un ouvrier agricole chrétien handicapé de 32 ans s’occupait des animaux dans un champ de la région de Faisalabad quand des hommes se sont emparés de lui et l’ont emmené avec eux sous la menace d’une arme. Son jeune frère, Nadeem, a de suite appelé la police, mais elle n’a pu éclaircir immédiatement l’affaire, car la voiture des ravisseurs n’avait pas de plaque d’immatriculation. Le cadet a déclaré que tout s’était passé très vite :

"Des inconnus dans une Toyota Corolla blanche sont arrivés dans les champs où Ahsan Masih coupait de l'herbe pour le bétail. Ils ont brandi leurs armes en menaçant pour que je garde le silence. Ensuite, ils ont saisi Ahsan de force, l’ont tiré dans la voiture et sont repartis rapidement."

Au cours de la soirée, Nadeem a été contacté par l’employeur d’Ahsan, Muhammad Aslam, qui lui a dit qu’il détenait son frère et que ce dernier ne serait libéré que si sa famille payait la dette de l’un de ses amis, Shahbaz Masih. L’annonce, certes effrayante, laissait de l’espoir qu’Ahsan puisse revoir les siens.

Cependant, le 1er septembre, la police a informé Nadeem qu’elle avait découvert le corps sans vie de son aîné dans une pièce insalubre habituellement utilisée pour entreposer les aliments du bétail dans la ferme de Muhammad Aslam.

D’après les éléments de l’enquête, Ahsan a été passé à tabac et s’est vu infliger des traitements inhumains tels que des décharges électriques, des mutilations d’orteils et des coups de fouet.

Martyrisé pour la dette d’un ami

Si Ahsan a été martyrisé jusqu’à en mourir, c’est en raison de ses liens avec un autre frère, ou plutôt un ami chrétien dont il était si proche qu’il le considérait comme un frère. Les circonstances ayant conduit à sa mort sont rendues davantage dramatiques par le comportement de ce dernier, Shahbaz Masih.

Ahsan s’était lié d’amitié avec Shahbaz alors qu’ils travaillaient dans une briqueterie et voyait un frère en ce dernier qui n’avait ni famille ni foyer. Aussi, lorsque Shahbaz a emprunté 400 000 roupies (environ 1 200 euros) à des propriétaires terriens musulmans, notamment Muhammad Aslam, Ahsan a accepté de l’accompagner dans la ferme de ce dernier pour l’aider dans ses travaux pour le rembourser.

Cependant, en août, Shahbaz a dû être hospitalisé suite à des problèmes cardiaques, et le propriétaire a autorisé Ahsan à l'accompagner au centre d’examen médical. Durant les deux semaines où Shahbaz était alité, son ami a fidèlement veillé sur lui.

Mais alors qu’Ahsan était brièvement retourné chez lui pour voir sa famille, Shahbaz est sorti de l’hôpital sans en informer son ami. Ahsan est tout de même retourné à la ferme pour achever de rembourser la dette de son ami, malgré sa jambe handicapée.

Convaincus que, malgré sa bonne volonté, Ahsan couvrait Shahbaz et savait où il se trouvait, Aslam et sa famille ont commencé à se montrer agressifs envers lui. Jusqu’à décider de l’enlever avec la complicité de puissants propriétaires également créanciers de Shahbaz.

Un corps et une famille meurtrie

Lorsque Nadeem s’est rendu à la morgue pour voir la dépouille de son frère avec le pasteur de l’église pentecôtiste du village, ils ont trouvé un corps marqué par la violence. Nadeem Masih a déclaré à la British Asian Christian Association (BACA), une ONG chrétienne :

"C’était déchirant de découvrir le corps sans vie de mon frère à l’hôpital. Les médecins avaient déjà procédé à l’autopsie. Son corps tout entier portait des traces de contusions, sa tête était blessée, ses doigts mutilés et sa peau était devenue bleue à cause des coups."

La BACA a décidé de prendre en charge les frais des funérailles pour aider la famille sous le choc. Elle a également lancé un appel aux dons pour payer un avocat que ne peut s’offrir la famille déjà très pauvre.

Nadeem a déposé plainte contre Aslam et ses trois complices qui ont été arrêtés en dépit de leur puissance économique et de leurs liens politiques, et il n’a pas cédé face aux menaces de ces derniers de lui faire subir le même sort que celui infligé à son frère.

Les minorités soumises à des contrats en leur défaveur

Juliet Chowdhry, administratrice de la BACA, souligne que la justice est à géométrie variable au Pakistan, en dépit de la législation uniforme :

"Le sort tragique d’Ahsan nous rappelle brutalement que même si les lois existent sur papier, leur efficacité dépend de leur application rigoureuse et du contexte social et économique plus large. Ne pas rendre justice à Ahsan ternirait encore davantage l’image de la nation, perpétuant un climat de peur et d’insécurité au sein des communautés minoritaires."

Bien que le travail forcé ait été aboli en 1992 dans le pays, les membres des minorités sont encore trop souvent piégées dans des contrats de servitude. Fort d’un sentiment d’impunité lié à ces contrats, des employeurs n’hésitent pas à malmener des ouvriers lorsqu’ils craignent qu’ils ne puissent les rembourser, voire quand ils demandent leurs salaires.

En 2014, craignant que son employé chrétien ne s’enfuie pour ne pas payer sa dette, un patron les avait enfermés, lui et son épouse, dans un four à briques. Cependant, le bruit s’est répandu dans les mosquées environnantes que le couple avait blasphémé et une foule a allumé le four, privant quatre enfants de leurs parents.

En septembre 2022, une travailleuse agricole hindoue a été martyrisée après avoir demandé son salaire. Le propriétaire et ses hommes de main l’ont battue, violée et pendue. Ils ont ensuite payé le médecin pour qu’il établisse un rapport la décrédibilisant.

Jean Sarpédon

Crédit image : British Asian Christian Association


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